26 août 2016 - de Anton J. Schleiss
La situation économique tendue en Europe et l’offre excédentaire d’électricité fortement subventionnée, fournie par le soleil, le vent et le charbon, ont extrêmement défavorisé l’hydroélectricité en Suisse. En vue de réussir dans un avenir incertain et d’améliorer la sécurité de l’approvisionnement en Suisse, le développement de l’hydroélectricité devra viser en tout premier lieu une plus grande flexibilité de la production et des installations. Ceci ne pourra se réaliser que par une augmentation de la puissance dans les centrales existantes, un agrandissement des retenues existantes par le rehaussement des barrages ainsi par la construction de nouvelles centrales à pompage-turbinage.
Plus de la moitié de la production d’hydroélectricité en Suisse est assurée par des centrales à accumulation. L’énergie produite ainsi est disponible à tout moment pour répondre aux pics de consommation d’électricité. Avec ses nombreux lacs de retenue, la Suisse dispose de la plus grande capacité de stockage de tous les pays alpins et peut jouer de ce fait un rôle important sur le marché européen de l’électricité en tant que producteur d’énergie de pointe. Une fois sortie du nucléaire dans le cadre de la Stratégie énergétique 2050, la Confédération devra compenser le manque d’électricité annuel en partie par l’hydroélectricité, mais aussi par la géothermie, l’énergie solaire et l’énergie éolienne. Les énergies renouvelables, comme celles tirées du soleil et du vent, dépendent cependant fort des conditions météorologiques et sont donc soumises à d’importantes fluctuations. Ce n’est pas le cas de l’hydroélectricité ! Pour garantir à l’avenir la stabilité de nos réseaux, et donc l’approvisionnement en électricité, il faudra augmenter les capacités de production en pointe et de stockage des centrales hydroélectriques. La Suisse pourrait ainsi de plus en plus jouer le rôle de batterie du réseau interconnecté européen.
Actuellement, la Suisse ne peut déjà plus couvrir ses besoins en électricité lors d’hivers froids. Depuis 12 ans, une quantité considérable d’électricité doit être importée de l’étranger durant le semestre d’hiver. Environ 10 % (3700 GWh) de l’électricité nécessaire manquaient en moyenne ces dernières dix années. Les droits de prélèvement suisses de centrales nucléaires françaises permettent actuellement de combler le manque d’électricité. Mais le déficit hivernal va s’accentuer dans le futur, particulièrement après la sortie du nucléaire. Une croissance de la production hivernale en transférant de l’énergie produite en été grâce à une capacité de stockage plus élevée des retenues est de la plus haute importance pour la sécurité de l’approvisionnement de la Suisse et sa compétitivité internationale.
La construction de nouveaux lacs de retenue en Suisse est limitée. Il faudra donc, dans un futur proche, atteindre le volume de stockage nécessaire en surélevant les barrages existants. Plusieurs barrages ont déjà été surélevés en Suisse :
En surélevant légèrement (moins de 10 % de la hauteur initiale) 20 autres ouvrages parmi les 160 barrages existants, la production hivernale pourrait augmenter de plus de 2 TWh par rapport au niveau actuel, donc de plus de 10 %. Une surélévation plus conséquente de quelques barrages entraînerait même une croissance de la production hivernale d’environ 15 %. Le déficit hivernal pourrait être ainsi compensé en grande partie en augmentant le volume des lacs de retenue.
Le changement climatique qui entraîne la fonte des glaciers crée de nouveaux lacs à très haute altitude. Ceux-ci peuvent parfois se révéler dangereux en se vidant très rapidement et de manière incontrôlée par-dessus les moraines frontales. Des barrages de sécurité promettent un potentiel d’hydroélectricité important. Les lacs glaciaires pourraient alors servir de lacs de retenue pour la production d’énergie de pointe et le pompage-turbinage du surplus d’énergie éolienne et solaire. Les lacs de retenue obtenus ainsi ouvrent à l’hydroélectricité de nouvelles possibilités dans les prochaines décennies de combler les baisses de production dues au changement climatique. Ils jouent un rôle capital pour les ressources en eau de la Suisse, car ils devront assurer le stockage effectué jusqu’ici par les glaciers. A côté de l’approvisionnement continu en électricité, les lacs de retenue devront de plus en plus contribuer à l’alimentation des cours d’eau lors de sécheresse prolongées et à la protection contre les crues. Ces nouveaux lacs de retenue représenteront donc des projets multifonctionnels et de synergie.
Un projet déjà bien entamé se situe au pied du glacier de Trift qui, suite à une fonte accentuée, a donné naissance à un lac naturel. Un barrage-voûte d’environ 180 m de hauteur permettrait de créer un lac de retenue assurant une production hivernale d’énergie de 220 GWh disponible lors des pointes de consommation en Suisse. Le glacier de Trift fait partie du projet FLEXSTOR de la CTI, dans le cadre duquel le SCCER-SoE, en collaboration avec la KWO, poursuit le but de développer et vérifier des solutions innovatrices pour améliorer la flexibilité du fonctionnement des centrales hydroélectriques en Suisse.
Le professeur Anton J. Schleiss est à la tête du deuxième Work Package « Hydropower » du SCCER-SoE et dirige le Laboratoire de constructions hydrauliques (LCH) à l'EPFL. Actuellement, il est aussi président de la Commission internationale des grands barrages (CIGB).
Anton Schleiss et Swiss-Energyscope ont réalisé deux vidéos You Tube présentant des informations de base sur l’hydroélectricité en Suisse :
La première vidéo traite des avantages, des différents types de centrales et des chances de l’hydroélectricité suisse dans le futur.
La deuxième vidéo traite des défis posés à l’hydroélectricité par l’économie et l’environnement en Suisse.